On leur a promis le monde, ou au moins ses eaux. Depuis le premier janvier, de nouvelle paperasserie, de longs délais à la frontière, et des poissons qui commencent à pourrir, ont laissé les pêcheurs de Brixham désabusé par le Brexit dans lequel ils avaient placé tant d’espoir.

« On avait cette vision du Brexit, de reprendre nos poissons, de sortir les français de nos eaux…on allait devenir très riches et vivre la dolce vita. » Ian Perkes est détaillant de poisson depuis 1976. Son abattoir se trouve sur le quai avec l’enseigne « Brixham Seafish », « le premier pour les meilleurs poissons frais », collé au-dessus de la porte. Aujourd’hui, Ian n’est pas en train d’étriper la fameuse sole de Douvres, mais assis dans son bureau à l’étage, submergé de paperasserie.

La petite ville balnéaire de Brixham, situé sur la côte d’azur anglaise, est d’habitude animée de touristes et de bateaux qui vont et viennent. Ce jour-là, sous le ciel blanc et brumeux, la ville est presque déserte. Un troisième confinement vient de débuter qui ainsi que l’air du large glacial, enferment les habitants dans leurs petites maisons multicolores. Sur le quai, c’est surtout la réalité froide du Brexit qui pique le plus.

Exportations au point mort

« Cette semaine on a pas exporté un seul poisson, simplement parce qu’on n’a pas les bons papiers » Ian raconte. La flotte de Brixham se compose d’environ 75 bateaux et chalutiers. Les poissons débarqués sont principalement des espèces démersales (vivant près du fond) – telles que la sole de Douvres et la lotte- mais aussi le sprat et la coquille Saint-Jacques pendant la saison. Brixham est le plus grand marché
de poisson en Angleterre (en valeur de poisson vendu) et ‘normalement’ plus de 70% de la prise est exportée en Europe.

« Nous n’imaginions pas que nous serions confrontés à une quantité colossale de paperasserie avec des coûts que nous n’avions jamais envisagés. » Ian évalue que les nouveaux frais de douane vont lui couter entre 200 et 300 livres par jour, en plus de 10,000 livres qu’il doit maintenant payer à un cabinet comptable français pour calculer le nouveau TVA. « Il y des entreprises qui va couler à cause de cet accord ».

Une communauté soudée

En dehors, il y a moins d’activité que d’habitude. Une vingtaine de bateaux de pêche sont à quai, chacun d’un taille, couleur et nom différent. Des mouettes et des goélands tournant dans le ciel créent une cacophonie de cris aigus. La mer grise-bleue ondule doucement. Dans un petit bateau bleu, un pêcheur est en train d’étriper des grands poissons argentés sur une table. Un phoque apparaît dans l’eau à côté, se croisant les nageoires pour les restes.

« Tu vois le bateau de merde là-bas, derrière c’est le bateau de Paul Stone, c’est l’homme très très gros, il te répondra » disait un pêcheur du ‘William of Ladram’ sur le ton de la plaisanterie, donnant un aperçu dans cette communauté masculine et très soudée. Les quatre jeunes pêcheurs de ce chalutier rouge et orange, vont et viennent sur le pont, faisant des blagues et parlant forte avec leurs accents dévoniens pendant qu’ils travaillent. Il y a un drapeau britannique collé sur le poste de pilotage.

« Elle me drague les gars » plaisant le capitaine du ‘Emily Jane’, Paul Stone, répondant à mon compliment sur sa tenue ; une salopette jaune vif et des bottes en caoutchouc assorties. Son équipage rit de concert. Ils forment un groupe jovial malgré les circonstances. Même si le secteur de fruits de mer ne représente que 0.1% de l’économie britannique, il a une importance symbolique dans les villes côtières comme Brixham. C’est une profession transmise de génération en génération depuis le XIVe siècle.

Les poissons pourrissent

« C’est de la cochonnerie, nous nous sommes fait avoir, pour être honnête » affirme Paul, pêcheur depuis 30. Aujourd’hui, il fait des travaux sur son bateau qui est bloqué dans le port en attendant les bons papiers pour pouvoir à nouveau exporter ses coquilles Saint-Jaques. « Ils obtiennent les bons papiers, et puis il y a un autre problème, c’est une conspiration. » Paul croit que les français leur maintiennent la tête sous l’eau délibérément. « Il y a une douzaine de camions de poissons qui sont restés à la frontière pendant deux jours, sans bouger et nous ne serons pas payés si cela ne passe pas. »


« Reprendre le contrôle de nos eaux, maintenez les navires étrangers hors de notre juridiction, qui sont là même en cas de mauvais temps alors que le terrain devrait être au repos… », Paul énumère les espoirs qu’il avait pour le Brexit. Il reste néanmoins pragmatique « La vie continue, nous n’avons pas reçu ce que nous voulions, il semble que nous ne recevrons rien, ou très peu, mais je suis sûr que nous survirons, mais ce n’est pas ce qu’on nous a promis. » Déçu mais pas abattu, c’est clair que le Brexit ne va pas l’emporter sur ce vieux loup de mer.

Meredith Ruleman

Crédits : Meredith Ruleman

Cet article a été écrit dans le cadre du cours de presse écrite français en janvier 2021