Depuis le 1er juillet 2021, les pères de famille peuvent prendre 28 jours de congé paternité au lieu de 14. Les bénéfices s’étendent à la société en général.

T. Bouvattier, cadre qui n’a pas souhaité donner son prénom, et son mari, technico-commercial, ont beaucoup souffert au moment de la naissance de leurs deux premiers enfants. Une expérience qu’ils ne souhaitaient pas reproduire pour la naissance de leur troisième : “C’était très frustrant pour mon mari de laisser son nouveau-né avec moi qui étais épuisée”, témoigne la mère de famille.

Depuis le 1er juillet 2021, un congé paternité de 28 jours (au lieu de 14) permet d’alléger la charge des mères, comme cela a été le cas pour l’épouse d’Arthur Cabaret. “Pour notre dernier-né, elle a pu se concentrer sur notre nourrisson pendant que je m’occupais des deux aînés et des tâches ménagères”, explique Arthur Cabaret.

Alix Sponton, doctorante en sociologie à Sciences Po Paris, voit l’allongement du congé paternité comme “l’une des rares politiques qui remet en cause le système de l’homme, pourvoyeur de ressources, et de la femme, pourvoyeuses de soins”. Dorothée Chourrot, fondatrice de 1min pour 1job, a fait le choix de donner un congé paternité de trois mois à ses employés. “L’égalité homme-femme sera atteinte lorsque disparaîtra ce distinguo entre la femme, qui fait et s’occupe des enfants, et l’homme, qui a plus de temps à consacrer à son entreprise”.

Selon Guilllaume Chiche, député ex-LREM des Deux-Sèvres et rapporteur de la proposition de loi de 2020 visant à allonger le congé paternité, “une femme sur deux passe à temps partiel ou cesse son activité professionnelle dès l’arrivée du premier enfant”. Il rappelle que les femmes sont beaucoup plus souvent victimes de discrimination à l’embauche que les hommes. Selon lui, la diminution de cette inégalité passe par l’allongement du congé paternité. Dorothée Chourrot approuve : “Si toutes les entreprises faisaient ça, on ne demanderait plus aux jeunes femmes de 27 ans si elles ont l’intention d’avoir des enfants. Cette question, on me l’a posée en entretien et je trouve ça atroce car ça n’a pas lieu d’être dans notre société”, confie la chef d’entreprise.

Le rapport remis par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik au secrétaire d’État en charge de l’Enfance et des Familles, Adrien Taquet, en septembre 2020, a notamment servi de point de départ à la réforme du congé paternité. Il a également mis en évidence les bienfaits de l’allongement du congé paternité sur le développement de l’enfant. “Pour l’enfant, c’est génial aussi d’avoir, dès ses premiers jours, son papa à côté de lui plutôt qu’une figure qui s’en va et qui revient”, confirme T. Bouvattier.

Des bénéfices pour les entreprises

Les entreprises peuvent également bénéficier de l’allongement du congé paternité, constate Guillaume Chiche : “Un certain nombre de grands groupes essaient d’accorder de plus en plus d’importance à la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée et proposent aujourd’hui des congés paternité “bonifiés” allant bien au-delà des minimums légaux.”

Arthur Cabaret a ainsi pu profiter d’un congé paternité d’un mois pour accueillir la naissance de son troisième enfant en mai dernier. Ce congé paternité allongé avant l’heure, il le doit à son entreprise, Les Alchimistes. Elle a signé le Parental Act, une charte réunissant 400 entreprises qui se sont engagées à offrir aux pères de famille un congé paternité de quatre semaines minimum entièrement rémunéré, avant la mise en place de la réforme.

Pour les entreprises comme celle d’Arthur Cabaret, il s’agit de mettre en avant leurs valeurs progressives. “Je suis fier de faire partie d’une entreprise préoccupée par les questions environnementales et sociales”, confirme-t-il. En effet, ces entreprises ont bien compris qu’il y avait un enjeu à saisir, explique la doctorante en sociologie, Alix Sponton : “proposer un congé paternité plus long à ses employés est un argument pour capter certains profils”.

Selon Alix Sponton, l’allongement du congé paternité peut également permettre aux entreprises d’attirer des profils venus du reste du monde. “Des entreprises installées en France font des efforts sur le sujet parce que l’allongement du congé paternité a d’abord eu lieu à l’international, précise-t-elle. La volonté d’homogénéisation des politiques a conduit ces entreprises à faire des avancées sur la question.”

Dorothée Chourrot a choisi d’accorder à ses employés un congé paternité de trois mois  pour développer un nouveau modèle de travail, plus bienveillant : “L’idée est de permettre cet équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle, pour que les jeunes pères s’investissent dans leur nouvelle vie familiale.”

Guillaume Chiche défend même l’idée que l’allongement du congé paternité pourrait avoir un effet bénéfique sur la productivité : “Si je me sens bien dans mon boulot, c’est parce que j’arrive à avoir une situation privée dans laquelle je peux m’épanouir, et en réussissant à articuler les deux, je suis plus productif au travail.”

Encore des obstacles à surmonter

Néanmoins, il reconnaît que des obstacles restent à surmonter : “Il existe une sorte de pression sociale sur les hommes qui choisissent de prendre leur congé paternité”. Aujourd’hui, 30% des hommes n’y recourent pas. “Il y a des normes professionnelles organisationnelles fortes et certains adhèrent à l’idée qu’il faut se donner totalement et entièrement à l’entreprise et qu’il n’est pas raisonnable de s’arrêter pour sa famille”, explique Alix Sponton.

Enfin, certains pères ressentiraient le besoin de “se réfugier au travail”, selon Myriam Chatot, docteur en sociologie. “On n’est pas absolument mécontent de retourner au travail au bout d’un moment parce qu’il est dur de s’occuper d’un nouveau-né. C’est presque un élément de confort, parce que vous retournez dans un environnement et dans un milieu où vous maîtrisez tout”, confirme le député.

Adélaïde Robert

L’échec du congé parental

En France, les parents, sans distinction de genre, ont la possibilité de se partager un congé parental d’éducation. S’il peut justifier d’une certaine ancienneté, le salarié pourra interrompre son activité professionnelle pendant un an, renouvelable deux fois, après la naissance de son enfant. Dans les faits, cependant, seuls 2% des hommes ont recours à ce congé parental à temps plein contre 28% des femmes, selon une étude de 2013 de l’INSEE. La situation n’a guère progressé depuis car selon le rapport remis au gouvernement en 2021 par la dirigeante d’entreprise Christel Heydemann et le sociologue Julien Damon, seules 265 000 personnes l’avaient demandé en 2019, soit moitié moins qu’en 2012. La raison de son impopularité : l’absence de rémunération. En effet, un parent ne touche que 400€ par mois maximum d’indemnisation.

Crédit photo de une : CIPHR Connect/Flickr/CC BY 2.0

Cet article a été écrit dans le cadre du cours d’écriture de presse en janvier 2022. Il est en lien avec l’article suivant : Dans le monde, un congé paternité à deux vitesses.